Il y a une heure de ça, dans le jardin de derrière chez moi, s’est produite la plus petite tempête de neige jamais recensée. Elle a dû faire dans les deux flocons. Moi, j’ai attendu qu’il en tombe d’autres mais ça n’a pas été plus loin. Deux flocons : voilà tout ce qu’a été ma tempête.
Ils sont tombés du ciel avec tout le poignant dérisoire d’un film de Laurel et Hardy : même qu’à y songer, ils leur ressemblaient bien. Que tout s’est passé comme si nos deux compères s’étaient transformés en flocons de neige pour jouer à la plus petite tempête de neige jamais recensée dans l’histoire du monde.
Avec leur tarte à la crème sur la gueule, mes deux flocons ont paru mettre un temps fou à tomber du ciel. Ils ont fait des efforts désespérément comiques pour tenter de garder leur dignité dans un monde qui voulait la leur enlever parce que lui, ce monde, il avait l’habitude de tempête beaucoup plus vastes – genre soixante centimètres par terre et plus -, et que deux flocons, y a de quoi froncer le sourcil.
Et puis ils ont fait un joli atterrissage : sur des restes de tempête précédentes – cet hiver, nous en avons déjà eu une douzaine. Et après ça, il y a eu un moment d’attente – dont j’ai profité pour lever les yeux au ciel, histoire de voir si ça allait continuer. Avant d’enfin comprendre que mes deux flocons, c’était côté tempête aussi complet qu’un Laurel et Hardy.
Alors je suis sorti et j’ai essayé de les retrouver : le courage qu’ils avaient mis à rester eux-mêmes en dépit de tout, j’admirais. Et tout en les cherchant, je m’inventai des manières de les installer dans le congélateur : afin qu’ils se sentent bien ; qu’on puisse leur accorder toute l’attention, toute l’admiration, qu’on puisse leur donner les accolades qu’ils mettaient tant de grâce à mériter.
Sauf que vous, vous avez déjà essayer de retrouver deux flocons dans un paysage d’hiver que la neige recouvre depuis des mois ?
Je me suis propulsé dans la direction de leur point de chute. Et voilà : moi, j’étais là, à chercher deux flocons de neige dans un univers où il y en avait des milliards. Sans parler de la crainte de leur marcher dessus : ça n’aurait pas été une bonne idée.
J’ai mis assez peu de temps avant de comprendre tout ce que ma tentative avait de désespéré. De constater que la plus petite tempête de neige jamais recensée était perdue à jamais. Qu’il n’y avait aucun moyen de la distinguer de tout le reste.
Il me plaît néanmoins de songer qu’unique en son genre, le courage de cette tempête à deux flocons survit, Dieu sait comment, dans un monde où semblable qualité n’est pas toujours appréciée.
Je suis rentré à la maison. Derrière moi, j’ai laissé Laurel et Hardy, se perdre dans la neige.
Richard Brautigan, "Tokyo-Montana Express"
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