Ecoutez… j’ai eu une journée d’enfer et la dernière chose dont j’ai envie de parler c’est de la façon d’affronter l’existence
07/12/2009
Lettre CLXIII
Monsieur Bertrand à madame de Rosemonde
M. votre neveu... Mon Dieu! faut-il que j'afflige tant une si respectable dame! M. votre neveu a eu le malheur de succomber dans un combat singulier qu'il a eu ce matin avec M. le chevalier Danceny. J'ignore entièrement le sujet de la querelle; mais il paraît, par le billet que j'ai trouvé encore dans la poche de M. le Vicomte et que j'ai l'honneur de vous envoyer; il paraît, dis-je, qu'il n'était pas l'agresseur. Et il faut que ce soit lui que le ciel ait permis qui succombât.
J'étais chez M. le Vicomte à l'attendre, à l'heure même où on l'a ramené à l'hôtel. Figurez-vous mon effroi, en voyant M. votre neveu porté par deux de ses gens, et tout baigné dans son sang. Il avait deux coups d'épée dans le corps, et il était déjà bien faible. M. Danceny était aussi là, et même il pleurait. Ah! sans doute, il doit pleurer: mais il est bien temps de répandre des larmes, quand on a causé un malheur irréparable.
Pour moi, je ne me possédais pas; et malgré le peu que je suis, je ne lui en disais pas moins ma façon de penser. Mais c'est là que M. le vicomte s'est montré bien véritablement grand. Il m'a ordonné de me taire; et celui-là même, qui était son meurtrier, il lui a pris la main, l'a appelé son ami, l'a embrassé devant nous tous, et nous a dit: "Je vous ordonne d'avoir pour Monsieur tous les égards qu'on doit à un brave et galant homme." Il lui a, de plus, fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais pas, mais auxquels je sais bien qu'il attachait beaucoup d'importance. Ensuite, il a voulu qu'on les laissât seuls ensemble pendant un moment. Cependant j'avais envoyé tout de suite chercher tous les secours, tant spirituels que temporels: mais, hélas! le mal était sans remède. Moins d'une demi-heure après, M. le vicomte était sans connaissance. Il n'a pu recevoir que l'extrême-onction; et la cérémonie était à peine achevée, qu'il a rendu son dernier soupir.
Gérard Manset - Elégie funèbre
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